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*hush*

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2.



2008.

Je suis à l'HP. Je pèse 42 kilos. Je partage ma chambre avec Louise, une sexagénaire alcoolique, que je connais déjà d'un séjour précédent. (Elle, ne me reconnaît pas.) (C'est toujours comme ça.) C'est encore un matin grisâtre, je reste sous les draps à ressasser des idées confuses, je me dis que je n'aurai jamais 27 ans, et que c'est très bien comme ça.


Il y a Louise, qui a bien changé depuis la dernière fois. Elle a perdu son frère, et elle ne s'en est pas remise. Elle passe son temps à pleurnicher, j'ai de la peine pour elle, elle qui était bien connue pour son fort caractère et sa répartie.

Il y a Hervé, qui m'a pris d'affection dès mon arrivée, il m'emmène à la cafet et me paie des cocas, il a un tas de choses intéressantes à raconter, très cultivé, même s'il parle à toute vitesse (même tout seul) n'écoute jamais les autres et qu'il pense que la télé nous espionne ; je l'aime bien. Mais il ne s'arrête jamais, il est un peu envahissant.

Il y a Sidonie et Samuel, une petite brune aux yeux de droguée, et un grand Noir pas très amical, deux accros au Sub*tex. Lui passe son temps à me taxer des clopes, elle me sermonne qu'il faut pas qu'en file dès qu'on me demande...

Il y a Pierre, trentenaire rangé, le plus normal de tout ce petit monde, une femme, des enfants, un boulot. Il n'est pas là pour longtemps. Son problème c'est une névrose qui tourne en boucle ; il est persuadé que (…). Il ne parle que de ça dès qu'on le connaît un peu; faut qu'on le rassure constamment, non, non (...)

Il y a Grégoire qui est arrivé ce matin et aussitôt a menacé de mort plusieurs patients à la salle fumeurs. Bipolaire et bien conscient d'être malade il dit faut pas le faire chier parce que ça peut partir très vite. Je ne lui parle pas, il me fait peur. (on est en 2008. Je ne souffre pour le moment d'aucun truc « lourd », et ne m'identifie pas du tout à lui)


La veille au soir ma mère a appelé depuis le poste des infirmières pour me dire que ça n'allait plus, que c'était la fin. Des mots vagues, des mots qui se font comprendre. Je me suis effondrée dans la salle des infirmières, elles ont essayé de minimiser, mais non, ça ira bien, elles m'ont laissé manger toute seule au réfectoire après tout le monde, parce que c'était ça ou pas manger du tout, je voulais être seule, hors de question que les autres me voient en larmes, tous ces tarés que je déteste.

Je me sens toute petite, nuit d'hiver devant mon plateau de réfectoire, il va mourir pour de vrai. Je comprends, seulement maintenant. Je n'arrête plus de pleurer.

...

Bang Bang (My Baby Shot Me Down) by Nancy Sinatra on Grooveshark


Comme je n'arrivais pas à arrêter de pleurer ils m'ont donné un Seresta 50 en plus. Ça m'a un peu calmée. Dans la salle télé « fumeurs » il y avait juste un seul gars, mélancolique, qui fumait dans un gros fauteuil. Il a bien vu que j'étais dans un sale état, il a eu quelques mots gentils, pas envahissants, enfin une interaction sociale normale. On a regardé Dr House dans le noir, comme au cinéma, jusqu'à l'heure du coucher. C'était bien.


Là c'est le matin, matin gris, idées nuages sans saveur, comme la lumière sous les draps : blanc, lumière pâle, pas intéressant. Mon téléphone sonne -enfin.

Échange purement informatif avec ma mère. Pas d'affect, juste une sorte de bref soulagement à l'annonce de la nouvelle. 

Une fois raccroché, j'annonce la nouvelle à Louise, je suis pressée de sortir, de rassembler mes affaires. L me serre dans ses bras en pleurant, c'est son deuil à elle qu'elle berce à travers moi. L n'était pas aussi abîmée, il y a 2 ans. Voilà, les tragédies personnelles, ça détruit les gens, c'est pas toujours des jolies histoires pleines de dignité dans les films. Il y en a qui ne se remettent pas, et j'en ferais peut-être partie, tu crois ?


Un peu trop pressée de m'en aller, car la famille ne peut venir me chercher que demain. Seulement j'ai dit à tout l'hôpital que je sortais. Un coup de fil plus tard je reviens à la chambre ; ils ont fait le lit et il n'y a plus aucune de mes affaires.

Une infirmière vient me ramener le sac poubelle dans lequel ils ont tout mis en vrac. J'essaie de m'expliquer, de négocier, enfin quoi merde, c'est difficile à comprendre que je me suis gourée, que je ne sors que demain ? mais elle ça lui contrarie son emploi du temps, pas la patience de s'occuper de moi, elle me crie dessus, elle crie « ce n'est pas ça qui va le ramener ! »


Je ne sais plus à qui m'adresser.

J'ai vidé mon forfait ce midi alors j'emprunte le portable de la première personne que je croise, c'est Samuel, j'envoie un texto à Maddie, meilleure amie d'enfance, seul numéro que je connais par cœur. 4 mots, ma signature.

S vérifie son portable peu après, il a l'air soudain abattu, me demande « c'est vrai ce que tu as écris ? » je hoche la tête.

Il me prend dans ses bras, dit quelques mots. Je suis étonnée, et touchée.

L'inf vient s'excuser des mots qu'elle a prononcés.


Maddie me rappelle, elle me connaît depuis toujours, et elle sait quoi dire dans ces situations. Elle est étonnée que je sois à l'hôpital dans des circonstances pareilles ; ça s'entend que ça lui fait de la peine. Je ne parviens pas à lui expliquer, ni à elle ni à moi-même, mais tout au fond, je sais que c'était la moins pire des options.


J'évite soigneusement les patients envahissants/insupportables, c'est pas simple car je ne peux même pas me réfugier dans ma chambre. Je ne dis rien à personne, il n'y a que S qui sait, et P à qui je peux le dire. Il me présente ses condoléances, avant de rapidement ré-embrayer sur le sujet qui le névrose.

Alors que je suis assise seule dans le hall Grégoire s'approche de moi, il m'entoure doucement de son foulard et me met du parfum de la Mecque, « pour te protéger ». En fait il est vraiment gentil. Plus tard Sidonie me serre dans ses bras, en disant « il faut rester en vie ». Je lui ai prêté mon lit l'après-midi, parce que complètement défoncée. Elle s'est endormie cul en l'air, bras le long du corps, se bavant dessus. Subu, quoi.


J'écris dans un grand cahier, c'est pour ça que je me souviens si bien. Un grand cahier dans lequel je mets les dessins de Hervé. H me dessine des drôles de choses, des insectes géants, féminins et terrifiants. Je n'ai pas le moindre souvenir de ce qui s'est passé le dernier soir à l'hôpital. On m'a mis dans un lit d'appoint dans une salle d'attente, le reste je ne sais plus.

Je t'en supplie, j't'en prie, m'abandonne pas!
Je ne suis plus personne si tu m'abandonnes
je t'en supplie, je t'en prie, m'abandonne pas, papa!
surtout pas
(Catherine Ringer, Daddy Doux)

Le lendemain matin, c'est H. qui m'a réveillé en appelant à la porte, Marie ! Marie, puis comme je ne répondais pas ça s'est vite transformé en chanson improvisée, des paroles enjouées et chantées à pleins poumons pour que je me lève.

Le lendemain, tu sais, il n'y aurait jamais dû avoir de lendemain.
Parce qu'il me semble qu'on avait un pacte tacite.

J'aurais pu me pendre ou sauter par la fenêtre. J'y ai pensé très fort, parce qu'il fallait le faire maintenant, après ça serait trop tard.
Mais je l'ai pas fait.
Pacte brisé. Il est mort, je suis en vie.

Difficile de se suicider quand à sa porte il y a Hervé gai comme un pinson qui chante à tue-tête. Tellement incongru et comique, autour de mon prénom, sur tous les tons.

Puis d' autres patients qui ont rugi « mais ta gueule !!! » hahaha sacré Hervé ! J'ai gardé ses dessins. Je m'en souviendrai toute ma vie.



(Voilà.)


(Il faut bien arrêter la narration à un endroit, sinon on n'en finirait jamais n'est ce pas)


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Ecrit par stupidchick, le Vendredi 7 Mars 2014, 14:12 dans la rubrique "dont".

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